La transition écologique bouleverse le monde du travail. Entre opportunités et menaces, comment concilier droit à l’emploi et impératifs environnementaux ? Décryptage des enjeux juridiques et sociaux d’une mutation inédite.
Les impacts de la transition écologique sur l’emploi
La transition écologique entraîne des transformations profondes du marché du travail. Certains secteurs comme les énergies fossiles sont amenés à décliner, tandis que de nouvelles filières émergent autour des énergies renouvelables, de l’économie circulaire ou de la rénovation énergétique. Selon l’Organisation Internationale du Travail, cette transition pourrait créer 24 millions d’emplois d’ici 2030, mais en détruire 6 millions dans les industries polluantes. Ce bouleversement pose la question de l’accompagnement des salariés vers les nouveaux métiers verts et de la protection des travailleurs des secteurs en déclin.
Face à ces mutations, le droit du travail doit s’adapter pour garantir un « emploi vert décent » selon l’expression de l’OIT. Cela implique de nouvelles réglementations sur la santé-sécurité liées aux risques émergents, l’évolution des conventions collectives, ou encore la mise en place de dispositifs de formation aux métiers de la transition écologique. La jurisprudence commence à se développer sur ces questions, comme l’illustre l’arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 2020 reconnaissant le « préjudice d’anxiété » des salariés exposés à des substances nocives.
Le devoir de vigilance des entreprises en matière environnementale
La loi sur le devoir de vigilance de 2017 impose aux grandes entreprises d’établir un plan de vigilance incluant les risques environnementaux liés à leurs activités. Cette obligation a des implications directes sur le droit du travail, en renforçant la responsabilité des employeurs vis-à-vis de l’impact écologique de leur activité. Les représentants du personnel voient leur rôle élargi pour intégrer ces enjeux dans le dialogue social.
La jurisprudence récente tend à renforcer cette responsabilité environnementale des entreprises. L’affaire « Shell » aux Pays-Bas en 2021, condamnant le groupe pétrolier à réduire ses émissions de CO2, pourrait faire jurisprudence en Europe. En France, l’affaire « Total » sur son projet pétrolier en Ouganda illustre les nouveaux contentieux liant droit du travail, droit de l’environnement et responsabilité sociétale des entreprises.
Vers un droit à la reconversion écologique ?
Face aux mutations du marché de l’emploi, la question d’un « droit à la reconversion écologique » émerge. Il s’agirait de garantir aux salariés des secteurs en déclin une formation et un accompagnement vers les métiers de la transition. Certains pays comme l’Espagne ont déjà mis en place des dispositifs en ce sens, avec une loi sur la « transition juste » pour les travailleurs du charbon.
En France, la loi Climat et Résilience de 2021 prévoit des mesures d’accompagnement pour les salariés des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Mais ces dispositifs restent limités et soulèvent des questions juridiques : comment articuler ce droit avec le plan de sauvegarde de l’emploi ? Quelle place pour la négociation collective dans la définition des parcours de reconversion ?
Le rôle croissant du dialogue social environnemental
La prise en compte des enjeux écologiques dans les relations de travail passe de plus en plus par le dialogue social. La loi Climat et Résilience a ainsi élargi les prérogatives du Comité Social et Économique aux questions environnementales. Les accords collectifs intègrent progressivement ces enjeux, comme l’illustre l’accord-cadre mondial sur la responsabilité sociale signé par Renault en 2019.
Cette évolution pose la question de la formation des représentants du personnel aux enjeux écologiques et de leur capacité à peser sur les stratégies des entreprises. Elle soulève aussi des interrogations juridiques sur l’articulation entre négociation collective et réglementation environnementale, ou sur la valeur contraignante de ces nouveaux accords « verts ».
Les défis juridiques de la relocalisation et des circuits courts
La transition écologique encourage le développement de circuits courts et la relocalisation d’activités, avec des implications importantes en droit du travail. Ces évolutions posent la question de l’adaptation des conventions collectives à de nouveaux modèles économiques, comme l’agriculture urbaine ou les coopératives énergétiques citoyennes.
La jurisprudence commence à se pencher sur ces enjeux, comme l’illustre l’arrêt de la Cour de cassation du 12 février 2020 sur le statut des livreurs à vélo. Ces nouvelles formes d’emploi « vertes » interrogent les frontières traditionnelles du salariat et nécessitent une adaptation du cadre légal.
La transition écologique redessine profondément le paysage du droit du travail. Entre protection des emplois existants et accompagnement vers les métiers verts, entre nouvelles obligations pour les entreprises et émergence de droits inédits pour les salariés, les défis juridiques sont nombreux. L’enjeu est de construire un cadre légal garantissant une transition juste et inclusive, conciliant impératifs écologiques et droit fondamental au travail.